L’homme a le potentiel humoristique d’un Abba. Mais sans le crâne rasé, puisqu’il traîne du poil à la barre des tribunaux et plateaux de télé. Il aurait été un monstre de clash, s’il avait été rappeur : sa capacité d’autodérision rappelle un certain Ngaaka Blindé. Il vit au Sénégal, ce pays de fous selon lui, lui-même se déclarant premier des fous. On sourit. Notre Abba tient la bonne humeur de son public par ses digressions. C’est un chef d’orchestre, sans baguette de direction, mais qui gesticule et fait son show. C’est du Jacques Brel sans la cadence et la voix du chanteur. Et il déclame son «ces gens-là» ! Ceux-là, ce pays de fous qui accepte de dérouler sa Présidentielle sur base de loterie. Et l’homme fait son trashtalk comme un certain Cedric Doumbé. Pas de ring, c’est à partir de la pelouse de sa villa d’un quartier huppé de Dakar qu’il parle. Jardin, piscine, timides gazouillis, un public, de journalistes, de faiseurs de live qui rit à ses blagues. El Hadj Diouf, maître rhéteur. Et qui donne son point de vue sur la situation du pays et sur cette amnistie dont on parle dans son bled de timbrés. Ce Sénégal, dirigé par un Président qui semble marabouté, qu’il faut exorciser, selon ce qu’en analyse encore celui qui fait son stand up… assis !

Trêve de blagues. L’avocat annonce que s’il a convoqué du monde chez lui, c’est parce «l’heure est grave». C’est parce qu’il faut «alerter, pour éviter les dérives, pour sauver notre cher Sénégal». Maître El Hadj Diouf est contre ce qui s’y joue depuis quelques jours. «Je dénonce, je combats, j’attaque cette histoire d’amnistie folle, incompréhensible et idiote»…

«Criminels» ! Il fallait voir Maître en direct et palper de ses propres oreilles l’intonation de sa voix pour sentir toute la théâtralisation accompagnant l’énonciation de ce mot. Pour l’avocat, un criminel, ça ne s’amnistie pas. Les criminels ? «Des poseurs de bombe», «ceux-là qui utilisent des cocktails Molotov, qui tuent des passagères dans un bus, qui incendient des maisons, qui pillent les magasins Auchan et d’autres magasins de paisibles citoyens qui sont devenus pauvres, qui brûlent la maison de votre serviteur maître El Hadj Diouf».

«Président lula dal…»
Il ne manque alors pas de mots péjoratifs pour parler de Pastef, «ce parti violent par ses appels à la mort, au gatsa-gatsa, au thioki fin, ce parti qui demande aux Sénégalais de venir déloger le Président Macky Sall qui ne doit pas terminer son mandat, donc, un parti putschiste». Ainsi s’étonne-t-il de cette histoire d’amnistie. «Pourquoi donc amnistier des voyous, des tueurs, des criminels ?» A son interrogation, il répond par un grand «non», avant d’emprunter à Grand Corps Malade un ton de slameur pour un bref égotrip : «Le candidat du peuple, le candidat de la sécurité, maître El Hadj Moustapha Diouf, fera face et à Macky Sall et à tous ceux-là qui seront avec lui en train de trahir le Sénégal, en train de faire la part belle aux terroristes, aux bandits, aux voyous, aux criminels.» Et, comme pour dire le plus sublime vers de Shakespeare, l’anti-amnistie se donne des airs : «Non, le Peuple se dressera, Monsieur le président de la République ! On ne vous laissera pas laisser les bandits, les tueurs, les criminels circuler dans Dakar.» Ousmane Sonko, Bassirou Diomaye Faye, leurs «complices», leurs «militants»… Ces noms endossent les étiquettes citées. Selon le maître lyrique, Dakar doit sa paix actuelle à l’arrestation de ces «anti-sénégalais».

Le show est interactif et dans son amphithéâtre, maître El Hadj Moustapha Diouf met à contribution son public comme pour se convaincre de ce qu’il dit. Son mouton se met à contribution en bêlant, et il en déduit qu’il veut prendre la parole. Il met, en outre, à contribution la date du 14 février pour alimenter ses digressions sur la Saint-Valentin et provoquer du rire. Aussi veut-il mettre à contribution d’autres soldats, dans ce qu’il souhaite voir devenir une «armée» de défense du pays contre ses menaces. Bon, armée, il précise la blague : il ne parle pas de celle-là régie par les conventions de Genève. «Un groupe pour parler aux Sénégalais, pour déjouer les manœuvres de tous bords pour réhabiliter avec l’amnistie des gens qui sont poursuivis pour des crimes étalés devant la presse par Monsieur le procureur de la République Karim Diop…» Armée dans laquelle Monsieur invite, par exemple, Moustapha Diakhaté dont il salue la prise de position, et Moustapha Mésséré. Cette «armée» du général Diouf aura, entre autres cibles, Alioune Tine, «l’autre moitié de Sonko» (blague de Saint-Valentin, gratuite, de la part du maître) et Pierre Goudiaby Atepa. «Cet escroc, pour parler comme Macky Sall», pique-t-il avant de se dédouaner : «Ah, je reprends le président de la République.» Macky, ce marabouté, qui s’est mis à «flirter avec ses ennemis», rajoutera celui qui a convoqué son point de presse un jour d’amour.

«Notre pays a besoin d’assurance, de calme, de sérénité pour réfléchir sur son avenir pour, ensemble, bâtir une grande Nation, une très grande Nation, prospère et démocratique.» Cette démocratie, le serviteur du peuple dit la vouloir sans les étiquetés d’en-haut. Il la veut avec un Macky Sall revenu à lui-même. «Président xoolal lingay def, Président lii mënul nékk, Président lula dal», a ironisé celui qui se propose d’aller chercher magie plus grande que celle utilisée pour ensorceler Macky Sall. Les faiseurs de live et journalistes ont souri. Et Monsieur de cibler Rfi, France 24, ces «médias qui défendent Sonko», en plus des Nations unies, de la France, de la France Insoumise et de «ce fou-là» qui détestait, selon Maître, Marianne et disait «France dégage». Celui qui se disait le premier des fous s’étonnait du fait que «subitement, c’est comme si le Sénégal était en train de brûler»…

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